Buch La Cathédrale de Monet

Yadegar Asisi. 360° Panorama

La Cathédrale de Monet / Yadegar Asisi. Berlin 2020.
La Cathédrale de Monet / Yadegar Asisi. Berlin 2020.

Sprachen: Frz./Engl.

Erscheint anlässlich der Eröffnung des gleichnamigen Panoramas von Yadegar Asisi in Rouen.

Erschienen
01.01.2020

Verlag
Asisi

Erscheinungsort
Berlin, Deutschland

ISBN
978-3-945305-32-4

Einband
Broschur

Seite 6-17 im Original

La lumière – la gloire – la peinture: la vision panoramique

[Französische Fassung]

La France est le pays de la métaphysique de la lumière depuis que l'abbé Suger de Saint-Denis a fait descendre la lumière divine de la céleste Jérusalem sur Terre en l'an 1140 avec des idées architectoniques révolutionnaires pour le chœur de son abbatiale. Pour mesurer la grandeur des idées de Suger, rappelons que les puristes du monde chrétien de l'époque rejetaient toute forme d'incarnation humaine de la lumière divine, considérant cela comme une injure à la grandeur de Dieu, de principe non représentable. Selon eux, l'Esprit pouvait uniquement se dévoiler à travers la parole et devait, par conséquent, être limité à la pensée notionnelle. Suger était toutefois convaincu que le mot « chair » devait être interprété comme au début de l'Évangile de Jean. Au sens moderne, cela signifie que l'incarnation est nécessaire ; il n'y a pas de pensée non incarnée, il faut l'accepter. Cela reste valable même si la pensée menace de devenir un dogme à travers la réification.

La représentation terrestre intérieure de la céleste Jérusalem dans une incarnation de la lumière, telle que le concevait Suger, a été réalisée de manière spectaculaire à travers la construction de grands vitraux illustrant la vision du Paradis. La lumière du soleil filtrante intensifie les couleurs des vitraux pour illuminer le monde céleste. Dans le monde réel, la couleur n'a été que peu considérée comme reflet de la lumière sur les corps. La découverte de Suger s'est étendue au-delà des frontières françaises, en Europe centrale, avec les programmes d'architecture d'édifices sacrés gothiques et les Européens ont ainsi pu, pour la première fois, aborder la couleur comme une découverte extraordinaire du quotidien. La peinture était née. Depuis, nous pouvons, de manière générale, définir la peinture comme étant la métaphysique de la couleur.

En 1975, le grand théoricien des sciences Sir Karl Popper et le prix Nobel de neurophysiologie Roger Sperry ont débattu des idées de Suger dans la discussion The Self and its Brain. Suger a été superbement approuvé : toute pensée peut être matérialisée. Les réalités matérielles ainsi que la physique et la métaphysique intellectuelles forment une unité à travers la réflexion sur les pensées, représentations et visions du monde matériel, car la réflexion ne peut s'avérer vivante et efficace qu'avec la réification. Cet acte de révélation ou de manifestation est l'origine du concept de gloire qui consiste à mettre un événement en avant, à le présenter comme étant important de manière à ce qu'il semble surhaussé à la lumière de l'histoire sainte, de l'histoire des idées ou de l'histoire universelle. L'expression latine « gloria in excelsis deo » a été sécularisée pour traduire la gloire de ceux qui savent célébrer la grandeur d'un événement. Le terme éclaircissement, « Aufklärung » en allemand, « enlightenment » en anglais, contient encore cette signification originale, à savoir « s'approcher de la bonne lumière », comme on éclairerait un objet au microscope pour le reconnaître.

Peindre avec la lumière

Au XIXe siècle, Viollet-le-Duc a imposé – très efficacement pour l'époque – sa vision de la cathédrale gothique afin de sauver les édifices des destructions causées durant la Terreur. La métaphysique de la lumière du Moyen Âge gothique a ensuite fasciné les contemporains à l'époque de ce qu'on appelle le progrès scientifique. L'homme s'est consacré aux conséquences des découvertes de la photographie et aux études scientifiques du phénomène de la lumière. La conciliation entre théologie chrétienne et philosophie de la nature moderne – que l'on appelle désormais science – a intéressé en particulier les romantiques. Pouvait-on mettre les lois naturelles de la création à la place de Dieu le Créateur et définir ainsi des justifications ultimes ? Pour la première fois, la vitesse de la lumière a été définie comme grandeur absolue en étant mesurée et il a été soulevé la question de savoir si les ondes représentables, plus particulièrement les caractères de particules de la lumière, correspondaient exactement à la confrontation historique entre théologie et philosophie de la nature.

Ce qui, jusqu'à présent, avait pu être démontré comme étant une force créative de la lumière uniquement l'espace d'un instant à travers le phénomène de la camera obscura, pouvait désormais être représenté sur la durée en tant qu'écriture lumineuse de Dieu par la photographie. L'héliographie et les photon-graphiques se sont traduits par le pointillisme d'une part, et le pinsel scroll d'autre part, les techniques de peintures modernes étant particulièrement bien mises au point pour rendre les atmosphères et les ambiances. Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, le courant s'est développé sous le nom d'impressionnisme. Ce qui a attiré l'attention est certainement la découverte du fait que la perception pouvait toucher les émotions en donnant une impression ou en stimulant l'imagination. Dans leurs œuvres, les peintres rendaient cette animation intérieure à travers leurs idées.

Le tourisme naissant chez les bourgeois s'est accompagné d'un sentiment de géo-psychisme, à savoir l'influence du paysage sur l'humeur des personnes. Le « changement d'air », c'est-à-dire le changement de cadre de vie souhaité ne tarda pas à être prescrit comme thérapie pour soigner les maladies physiques et mentales. Les créateurs d'images, les peintres, devinrent des agents des programmes généraux de récréation. On comprend bien que les représentations picturales de l'effet thérapeutique de ces stations thermales magiques devaient produire un changement du regard, des postures et des attitudes. Les bourgeois n'étaient d'ailleurs pas les seuls à apprécier ce changement d'air. Les artistes ont appris à aimer ce changement de lieu, traditionnellement appelé « recherche de motif », qui avait une influence positive sur leur talent. Depuis le début de la peinture de paysages au XVIe siècle, on sait que ces derniers ne sont pas obtenus dans la nature mais à travers la perception d'ensembles d'éléments de la nature. Les peintres sont des spécialistes très sensibles de la transformation des arbres et buissons, des collines et vallées ainsi que de l'eau et des pierres en espaces de représentations, paysages et illusions attrayantes. Du pouvoir des visions naissent des effets thérapeutiques.

La cathédrale de la peinture

Deux avancées techniques ont aidé les créateurs des visions de paysages thérapeutiques à peindre en atelier, mais aussi en plein air : il s'agit de la découverte de la peinture à l'aniline en tube permettant un usage immédiat, d'une part, et de la création de châssis à clés portables, d'autre part. Ainsi, un artiste pouvait programmer de changer de lieu pour trouver de nouveaux motifs. Friedrich Nietzsche a un jour dit – et c'est d'ailleurs pour cette raison qu'il reste le penseur le plus important de son époque qui aimait réfléchir en plein air : « ne fais pas confiance aux pensées qui n'apparaissent pas en marchant ». Le changement de lieu est devenu un changement de perspective et ainsi une source de stimulation pour les activités. Il est naturellement lié au changement de lumière, car l'ordre de confrontation avec les motifs au cours d'une journée de travail en plein air change visiblement la luminosité. Le changement de lieu devient un changement de luminosité et donc un changement de perception, car l'artiste conserve sa position dans l'espace tout au long de la journée.

Claude Monet a développé ce procédé de manière méthodique en observant différents groupes de motifs par rapport à la lumière du jour changeante sur des périodes prolongées, et obtenu des valeurs d'ambiances à partir de ces divers types de lumières. Il commença alors à produire des émotions très différentes avant le motif en lui-même, afin de les fixer en peinture comme ambiances. Le terme ambiance nous vient du monde du théâtre, où la perception du public a essentiellement pu être orientée au-delà du contraste clair-obscur classique, après l'introduction de l'éclairage électrique des scènes. Monet a expérimenté la traduction des ambiances dans la dynamique psychologique de la peinture avant le motif, aussi bien sur une allée de peupliers que sur une meule de foin ou une cathédrale.

Son sens artistique de la « lingua mentale », le langage du mental, était extraordinaire. Dans ses nombreuses toiles représentant la cathédrale gothique de Rouen, véritable point d'orgue de la peinture en plein air, le grand maître parvient à peindre la couleur locale en tenant compte de l'influence de la lumière. Cela n'explique pas dans quelle mesure l'histoire de la métaphysique de la lumière l'a amené à choisir le motif de la cathédrale. D'un point de vue objectif, nous devons toutefois considérer ce lien, car la puissance de l'objet à elle seule ne permet plus de considérer celui-ci comme une possibilité de choix quelconque parmi les nombreuses possibilités. Il ne faut pas non plus supposer qu'à travers les voiles de couleurs de ses représentations de la cathédrale, Monet a voulu rappeler les effets de lumière du feu allumé le 30 mai 1431 sur la place du marché de Rouen, qui a obligé Jeanne d'Arc à couper son âme métaphysique de son corps physique — à séparer, comme nous l'avons appris de Monet, la peinture de la simple représentation d'objets colorés, et donc à distinguer la couleur locale. Il appartient aussi à chacun de voir dans ce changement de points de vue sur la cathédrale un changement de position historique envers l'Église en tant qu'institution mondiale et lien entre la physique et la métaphysique.

L'observateur du point de vue de Monet

Si le visiteur bienveillant – touriste à Rouen ou admirateur de Monet – a déjà trouvé des réponses à ce genre de questions, il dispose maintenant d'une possibilité qu'aucune observation des toiles ou de la cathédrale de Monet ne pouvait jusqu'à présent lui offrir, concrètement comme intellectuellement.

Passé maître dans l'art du panorama, Yadegar Asisi va plus loin que les objectifs fish-eye utilisés dans de célèbres cinémas et les lunettes de réalité virtuelle. Il présente l'effet d'image le plus surprenant jamais obtenu depuis la découverte de la perspective centrale au début de la Renaissance. Cette dernière permet à l'observateur situé devant une toile de se positionner exactement devant le centre de la construction d'un espace. Mais seuls ses yeux lui permettent de percevoir l'espace. L'image reste opposée à lui sur un autre plan que celui qu'il se représente.

Avec l'art du panorama, l'observateur peut se mouvoir dans l'image comme si le statut ontologique de l'image et de l'observateur était le même. Jusqu'à présent, seuls les rêveurs avaient la possibilité de déambuler dans les espaces des peintures et les représentations. Asisi permet aujourd'hui de rêver les yeux ouverts à travers une expérience réelle époustouflante. L'observateur peut se connecter au changement de position du peintre et surmonter l'immense fossé qui sépare la création de la toile et la perception de celle-ci sans tomber dans le cynisme, ni dans l'athéisme relatif aux croyances sur les toiles.

Dans les espaces urbains intérieurs comme en pleine nature, la peinture de paysages renvoie nécessairement à la distance entre observateur et observé, car la représentation présente une conséquence psycho-climatique importante. Le panorama d'Asisi efface cette distance et intègre totalement l'observateur dans l'image. Celui-ci peut se promener dans les images et s'arrêter méditer comme il l'a déjà fait dans son expérience réelle du monde. Asisi représente, à l'échelle de l'expérience du monde quotidien, chaque mouvement du peintre Monet devant son motif, toute une journée durant; précisément avec l'effet de la métamorphose du paysage urbain dans sa couleur locale en peinture de la lumière. Sa technique, la photographie, consiste à obtenir une perception du monde si grandiose que l'on souhaiterait qu'elle dure au-delà de tous les changements historiques.

Le panorama d'Asisi propose une expérience réelle de la ville de Rouen vers 1900, bien que la réalité de cette époque n'existe quasiment plus : des bâtiments, représentants de la réalité historique, sont encore présents mais la perception de la réalité subjective des contemporains ne peut qu'être simulée. L'entrée dans le panorama se transforme ainsi en une expérience de psycho-archéologie. À l'époque de Monet, cela existait uniquement à travers les mots tirés des romans de Marcel Proust. L'expérience de l'univers de Monet était jusqu'à présent limitée à l'observation de ses toiles. Dans le panorama d'Asisi, nous n'avons pas besoin de rester devant les peintures nous pouvons au contraire entrer dans son monde en tant qu'image et s'en imprégner.

Dans le panorama, nous nous situons dans un royaume intermédiaire entre deux réalités, entre le monde objectif et le ressenti subjectif : nous nous déplaçons réellement le long de toiles présentant des images à différentes hauteurs en ayant conscience de la pesanteur et avons toutefois la sensation de nous mouvoir comme dans un rêve. Le panorama semble effacer toute différence entre le rêve et l'éveil.

Reste une question passionnante : dans quelle mesure les visiteurs peuvent-ils parvenir à une certaine harmonie entre l'expérience réelle qu'ils vivent dans le panorama de Monet et l'observation de toiles dans un musée ? Nous savons désormais pourquoi les touristes se plaignent lorsque leurs vraies vacances sur place ne correspondent pas exactement à la brochure publicitaire. À Rouen, nous découvrirons si les personnes observant des toiles de Monet dans un musée ressentent la même émotion que dans le panorama. Cette question devrait permettre de situer les impressions par rapport aux expressions, car on décrit déjà Monet comme étant un impressionniste. Cependant, pour pouvoir, comme tous les hommes, montrer ce qui l'impressionne à travers sa perception, Monet doit déjà pouvoir s'exprimer. Ce qui nous impressionne naît, contre notre habitude, de l'effet produit par notre façon de nous exprimer verbalement ou en images – qui n'est autre qu'une conséquence de notre capacité d'expression. De ce point de vue également, l'expérience du panorama offre à l'observateur une occasion d'auto-expérimentation. Pour connaître ce qui nous impressionne, il faut d'abord apprendre auprès de Monet, et plus généralement des artistes, quelles impressions l'on souhaite atteindre à travers le pouvoir de l'expression.

Le panorama d'Asisi

rend hommage à l'œuvre des impressionnistes français, en particulier à Monet. Ses multiples peintures de la cathédrale constituent un exemple unique dans l'histoire de l'art du triomphe de la peinture sur la couleur locale, la couleur de notre perception du quotidien. Monet influencera encore la peinture française pendant des siècles. Dans l'univers que Suger dépeint au début, nous abordions la manière dont Monet justifiait la peinture, un débat universel : il y a des lèvres rouges, des vêtements rouges, des coquelicots rouges, du vin rouge. La question est la suivante : le rouge commun à toutes ces choses est-il vraiment comme la chose de couleur rouge ? L'amour est-il vraiment donné de la même manière que nous reconnaissons des personnes aimantes ? Les mots universels tels que l'amitié, l'amour, la foi, la liberté, la gloire, la peinture et l'art sont-ils utilisés dans le monde de la même manière que les personnes comprennent leur univers à travers ces mots ? Ou bien s'agit-il uniquement de ballonnements (flatus vocis) de l'imagination ? L'art contemporain du XXe siècle a depuis longtemps constaté à tous les niveaux que les termes génériques sont réels dans le « vécu ». Monet et les impressionnistes français ont apporté à l'art la certitude que le terme générique « peinture » décrit une réalité autonome qui n'a que peu de points communs avec les couleurs de la nature. Depuis, la peinture se réfère au monde de l'âme, à la « lingua mentale », qui de manière générale définit tous nos rapports au monde. Les représentations visuelles ont existé de tout temps dans tous les formats, matériaux et couleurs. Les techniques de représentation étaient très développées depuis des siècles. Mais la peinture est une acquisition de la plus jeune histoire de l'art européenne, à l'instar de l'État de droit, de l'État social ou du parlementarisme qui représentent des créations plus tardives des techniques anciennes d'organisation de la cohabitation entre les hommes. Depuis le XVe siècle se développe lentement l'idée que la peinture est un domaine autonome des opérations mentales. Monet fournit l'un des plus importants supports validant cette conception. Asisi rend hommage à cette performance en montrant et en glorifiant la manière dont la création de la peinture contribue à la reconnaissance de la force mentale humaine.